Le rapport de fin d’année de la CDPQ au 31 décembre 2023 comprend plus de 14 milliards de dollars d’investissements dans des entreprises complices de crimes de guerre et de génocide israéliens. Cela représente un peu plus de 3 % du total des avoirs de la CDPQ, qui s’élève à 434 milliards de dollars.
Le CDPQ a investi 1,5 milliard de dollars dans sept entreprises figurant dans la base de données des Nations unies sur les entreprises engagées dans certaines activités de colonisation israéliennes dans le territoire palestinien occupé (TPO).
En outre, la CDPQ a investi plus de 12 milliards de dollars dans des entreprises dont AFSC Investigate a montré qu’elles étaient impliquées dans des violations spécifiques des droits de l’homme dans le cadre de l’occupation israélienne. Cela inclut un investissement de 4,2 milliards de dollars dans la société WSP, basée à Montréal, contre 3,5 milliards de dollars en 2022.
Les colonies israéliennes dans le TPO ont été déclarées contraires au droit international par la Cour internationale de justice (CIJ) en 2004. En 2016, le Conseil de sécurité des Nations unies a réaffirmé que l’établissement de ces colonies par Israël constituait une violation flagrante du droit international. En 2021, le Canadien Michael Link, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans le TPO, a conclu que ces colonies constituent un crime de guerre. Les investissements de la Caisse dans des compagnies qui opèrent dans ces colonies la rendent donc complice de cette violation du droit international et de ce crime de guerre.
Le 26 janvier 2024, la CIJ a ordonné des mesures conservatoires dans une affaire intentée par l’Afrique du Sud contre Israël pour ses violations présumées de la Convention sur le génocide dans le cadre de ses actions à Gaza. Dans son ordonnance, la Cour a estimé que le droit des Palestiniens de Gaza à être protégés contre les actes de génocide était “plausible”.
Cette année, l’analyse a donc également pris en compte les investissements de la CDPQ dans les entreprises d’armement identifiées par World Beyond War comme participant à l’armement de l’armée israélienne. Cela représente 731 millions de dollars supplémentaires investis dans des entreprises autres que celles répertoriées par l’ONU et l’AFSC.
Alors que la CIJ n’a pas encore statué sur le fond de la plainte de l’Afrique du Sud contre Israël, Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans le TPO, conclut dans son dernier rapport, intitulé Anatomie d’un génocide, qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le seuil indiquant qu’Israël a commis un génocide est atteint. Ainsi, il y a des motifs raisonnables de croire que les entreprises impliquées dans l’armement de l’armée israélienne sont complices d’un génocide, tout comme l’est la Caisse en investissant dans ces entreprises.
Investissements des années précédentes par la CDPQ
C’est la troisième année qu’une analyse des avoirs de la CDPQ par rapport à l’OPT est menée, avec des résultats similaires.
2022 avec mise à jour après le désinvestissement de Policity par G4S
La base de données des Nations unies sur les entreprises en lien avec le TPO
La base de données des Nations unies a été publiée le 12 février 2020 dans un rapport du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme (A/HRC/43/71). La demande de production d’une base de données avait été formulée en 2016 par le Conseil des droits de l’homme dans sa résolution 31/36, dans le cadre du suivi du rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestinien dans le TPO, y compris Jérusalem-Est (A/HRC/22/63). Dans son rapport, la mission d’établissement des faits a dressé une liste d’activités qui ont soulevé des préoccupations particulières en matière de droits de l’homme, à partir desquelles le Conseil a défini la base de données :
- La fourniture d’équipements et de matériels facilitant la construction et l’expansion des colonies de peuplement et du mur, ainsi que des infrastructures associées;
- L’installation d’équipements de surveillance et d’identification dans les colonies de peuplement, le long du mur et aux points de contrôle directement liés aux colonies de peuplement;
- La fourniture d’équipements destinés à la démolition de logements et de propriétés et à la destruction de fermes agricoles, de serres, de vergers d’oliviers et de plantations;
- La fourniture de services de sécurité, d’équipements et de matériels de sécurité à des entreprises exerçant dans les colonies de peuplement;
- L’offre de services et de prestations contribuant à l’entretien et à l’existence des colonies de peuplement, y compris dans le domaine des transports;
- Les opérations bancaires et financières contribuant au développement, à l’expansion et à l’entretien des colonies de peuplement et de leurs activités, y compris les prêts immobiliers destinés à la croissance des entreprises;
- L’utilisation de ressources naturelles, en particulier l’eau et la terre, à des fins commerciales;
- La pollution et le dépôt de déchets dans les villages palestiniens ou le transfert de tels déchets vers les villages palestiniens;
- La captivité des marchés financiers et économiques palestiniens et les pratiques qui mettent les entreprises palestiniennes dans une situation défavorable, notamment les restrictions à la liberté de circulation, les restrictions administratives et les contraintes juridiques;
- L’utilisation des profits et des réinvestissements réalisés par les entreprises appartenant en totalité ou en partie à des colons pour développer, élargir et entretenir les colonies de peuplement.
Les lettres qui apparaissent à côté des entreprises dans le tableau ci-dessous se réfèrent à ces activités énumérées.
Alors que la résolution prévoyait une mise à jour annuelle, aucune ressource régulière n’a été prévue à cet effet, de sorte qu’aucune entreprise n’a été ajoutée à la base de données depuis 2020. Toutefois, un certain nombre d’entreprises ont demandé au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme de les retirer de la base de données. En conséquence, la base de données a été mise à jour en juin 2023 afin de supprimer 15 des 112 entreprises énumérées à l’origine. Les avoirs de la CDPQ au 31 décembre 2023 ont donc été analysés à l’aide de la mise à jour de 2023 de la base de données de l’ONU.
Entreprises énumérées dans la base de données de l’ONU qui faisaient partie du portefeuille de la CDPQ au 31 décembre 2023 :
Compagnie | # d’actions | $$$ (millions) |
Airbnb (E*) | 172099 | 30.90 |
Bank Hapoalim (E,F,G*) | 62079 | 0.70 |
Bank Leumi Le-Israel BM (E,F,G*) | 6220 | 0.10 |
Booking Holdings (E*) | 53122 | 248.50 |
Expedia Group (E*) | 3146 | 0.60 |
Motorola Solutions (D,E*) | 95863 | 39.60 |
Alstom SA (E,G*) | 66832554 | 1,185.70 |
Total | $1,506.10 |
AFSC Investigate
AFSC Investigate a démontré que les entreprises suivantes, qui figurent dans la liste des actifs de la CDPQ au 31 décembre 2023, sont impliquées dans des violations spécifiques des droits de l’homme dans le cadre de l’occupation israélienne :
Parmi les entreprises énumérées ci-dessus, les suivantes sont impliquées dans la fabrication d’armes et d’armements : General Dynamic (2,9 millions de dollars), General Electric (151,2 millions de dollars), Leonardo (6,4 millions de dollars), Lockheed Martin (62,2 millions de dollars), Northrop Grumman (69,4 millions de dollars) et Rolls Royce (69,4 millions de dollars). Toutes ces entreprises, à l’exception de Rolls Royce, figurent sur la liste Canada Stop Arming Israel (Arrêtez d’armer Israël ) de World Beyond War.
** retirer de la liste car l’ONU l’a retiré de la liste, mais toujours sur l’AFSC, mais General Mills a vendu les opérations en règlement à une autre société,
WSP Global
Le 15 septembre 2022, Al-Haq et le Mouvement pour une Paix Juste ont soumis un rapport au Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, demandant que WSP Global Inc. (WSP), une entreprise canadienne, soit incluse dans la base de données de l’ONU. La demande a été présentée par 105 organisations du monde entier, dont le Canada, et soutenue par d’éminentes personnalités, dont les anciens Rapporteurs spéciaux des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans le TPO, Michael Lynk, John Dugard et Richard Falk, ainsi que le professeur de linguistique émérite Noam Chomsky.
La soumission a fourni des informations complètes concernant le contrat de WSP avec Israël pour planifier et concevoir le train léger de Jérusalem (JLR), qui contribue au maintien des colonies israéliennes à Jérusalem-Est, occupée et annexée en violation du droit international.
WSP facilite ainsi le transfert d’une partie de la population de la puissance occupante dans le TPO, en violation de la Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre. Par son soutien actif à la colonisation israélienne de Jérusalem-Est, WSP est impliquée dans des violations flagrantes et systématiques des droits humains fondamentaux de la population palestinienne.
Nous demandons à la CDPQ d’user de son influence pour que WSP se retire de son contrat pour le JLR, tout comme la CDPQ l’a fait avec Allied Universal en ce qui concerne l’investissement de G4S dans Policity, l’école de police israélienne.
Interrogée en 2023 au sujet d’Allied Universal, M. Conrad Harrington, porte-parole de la CDPQ, a déclaré que celle-ci “prend très au sérieux toute allégation relative aux droits humains et est l’un des investisseurs les plus respectés au monde en ce qui concerne les critères ESG, que nous appliquons de manière rigoureuse et cohérente ».
Si cette affirmation est vraie, la CDPQ devrait demander à WSP de mettre fin immédiatement à son implication dans le JLR.
Palantir
Le réinvestissement de la CDPQ dans Palantir est également remarquable dans ses avoirs au 31 décembre 2023.
La CDPQ a abandonné Palantir en 2022 lorsque l’action a chuté de 70 %, mais a de nouveau investi dans cette compagnie en 2023. Palantir fournit son système prédictif d’intelligence artificielle (IA) aux forces de sécurité israéliennes pour qu’elles emprisonnent des personnes dans le TPO parce qu’elles correspondent au “profil terroriste”.
Palantir fournit les mêmes outils de surveillance de masse aux forces de l’ordre et aux services de police, en contournant les procédures de mandat, permettant ainsi à la police d’accéder à de vastes quantités d’informations sur les individus. L’utilisation de bases de données des forces de l’ordre recueillies auprès de l’armée israélienne fausse le pouvoir prédictif de l’analyse de l’IA, qui se concentre sur les types, les lieux et les personnes figurant dans la base de données. Les organisations de défense des droits de l’homme déplorent ce type de maintien de l’ordre (note de bas de page 1).
Investir dans l’armement et la fabrication d’armes
Comme indiqué ci-dessus, les investissements de la CDPQ dans les entreprises de fabrication d’armes et d’armements identifiées par AFSC Investigate comprennent General Dynamics, General Electric, Leonardo, Lockheed Martin, Northrop Grumman et Rolls Royce, pour un montant de plus de 350 millions de dollars.
En outre, la CDPQ a investi dans les entreprises suivantes qui figurent sur la liste Canada : Stop Arming Israel de World Beyond War mais pas dans la base de données de l’ONU ou qui n’ont pas été identifiées par AFSC Investigate :
COMPAGNIE | # d’actions | $$$ (millions) |
BAE (BAE Systems PLC) | 9506675 | 177.50 |
Curtiss-Wright Corp | 29582 | 8.70 |
Heroux-Devtek | 4807395 | 73.10 |
Honeywell International | 177465 | 49.10 |
Leidos Holdings | 199063 | 28.40 |
Rheinmetall (partner of Elbit) | 28931 | 12.10 |
Safran | 654581 | 152.00 |
Thales | 1180469 | 230.30 |
Total | 731.20 |
Selon cette analyse, la CDPQ a investi plus d’un milliard de dollars dans des entreprises militaires et de fabrication d’armes qui sont complices de crimes de guerre, voire de génocide.
En résumé
Au total, la CDPQ détient 14,232 milliards de dollars d’investissements dans des entreprises complices de crimes de guerre et un certain nombre de ces investissements sont associés à des armes et armements exportés vers Israël et éventuellement utilisés dans le génocide en cours à Gaza.
Le conseil d’administration de la CDPQ et ses cadres supérieurs devraient savoir que le Groupe de travail juridique pour l’imputabilité au Canada du Centre international de justice pour les Palestiniens (CIJP-Canada) a fourni au gouvernement du Canada un avis d’intention de demander des poursuites contre des fonctionnaires canadiens qui seraient complices des crimes de guerre d’Israël. Le CIJP-Canada envisage également d’élargir la portée de son initiative pour demander des comptes aux entreprises canadiennes qui seraient complices des crimes de guerre d’Israël. Tout comme la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre du Canada, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale s’applique aux personnes physiques. Ce dernier érige en infraction le fait d’apporter son aide, son concours ou toute autre forme d’assistance à la commission de crimes de guerre et du crime de génocide.
Le CDPQ doit prendre au sérieux le problème de ses investissements dans des entreprises complices de crimes de guerre et susceptibles de soutenir le génocide.
Nous renouvelons l’appel que nous lançons depuis trois ans à la CDPQ pour qu’elle :
- Se désinvestisse des entreprises figurant dans la base de données de l’ONU, de WSP Global et des entreprises identifiées par AFSC Investigate comme complices de l’occupation israélienne,
- Examine son portefeuille afin de repérer tout autre investissement qui violerait le droit international, et
- Mette en place un processus transparent pour s’assurer que les entreprises sont contrôlées pour les violations des droits de l’homme et du droit international.
Les préoccupations soulevées s’inscrivent également dans le contexte plus large de l’investissement éthique lié aux investissements des fonds publics du Québec, notamment dans l’exploitation minière, les combustibles fossiles, les soins de santé privés et d’autres questions de justice et de préoccupations humanitaires.
Nous demandons à la CDPQ de prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que les activités de toutes les entreprises incluses dans son portefeuille soient conformes au droit international.
Nous rappelons à la CDPQ qu’au Canada, les parties complices de crimes de guerre, y compris les entreprises, sont passibles de poursuites pénales en vertu de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
Note de bas de page 1 :
Plus d’informations sur Palantir
Au Canada, la façon dont ces bases de données sont construites les rend illégales. La GRC a notamment été critiquée par le Commissaire à la protection de la vie privée, Daniel Therrien, qui a déposé un rapport au Parlement en juin 2021 après avoir enquêté sur l’utilisation par la police nationale d’un logiciel de la société américaine Clearview AI.
Aux États-Unis, Palantir a conclu des contrats de plusieurs millions de dollars avec l’Immigration and Customs Enforcement (ICE), qui contribue aux violations des droits de l’homme telles que la séparation des familles et les déportations.
L’AFSC recommande le désinvestissement de Palantir, citant le ciblage des Palestiniens, la surveillance et le ciblage des immigrants par les États-Unis, le partage des données policières et la police prédictive, l’IA militaire, la surveillance Covid, ainsi que l’influence politique et un certain nombre d’autres pratiques controversées. Par exemple, en mars 2018, il s’est avéré que des employés de Palantir ont été impliqués dans le scandale Cambridge Analytica, où les données de 50 millions de profils Facebook ont été exploitées pour influencer l’élection présidentielle américaine de 2016.
L’AFSC a noté que Palantir recueille des données auprès de ses clients pour alimenter l’énorme base de données sur laquelle reposent la reconnaissance faciale et les prédictions de l’IA. À l’instar de la base de données utilisée par Clearview AI, il n’est pas certain que toutes les personnes dont la photo apparaît dans la base de données l’aient volontairement fournie. Par conséquent, on peut craindre une violation des droits de l’homme.